Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/167

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mortelles s’amoindrissent, tombent, se dégradent : on les voit grandir, s’épuiser, se remplir. La conséquence pour elles d’une condition si peu fixe est l’inégalité ; les choses divines ont une nature constante. Or la raison n’est autre chose qu’une parcelle du souffle divin immergée dans le corps de l’homme. Si la raison est divine, et qu’il n’y ait nul bien sans elle, tout bien est chose divine ; or entre choses divines point de différence, ni par conséquent entre les biens. Ce sont donc choses égales que le contentement, et que la ferme persévérance dans les tortures : car dans les deux cas la grandeur d’âme est la même : dans l’un seulement elle se dilate et s’épanouit, dans l’autre elle lutte, elle tend tous ses ressorts. Eh quoi ! N’y a-t-il pas un égal courage à forcer intrépidement les remparts ennemis et à soutenir un siège avec une constance à l’épreuve ? Scipion est grand quand il bloque et réduit Numance aux abois, quand il contraint des bandes invincibles à s’égorger de leurs propres mains ; mais grand aussi est le cœur de ces assiégés qui savent que rien n’est fermé pour l’homme à qui le trépas est ouvert et qui expire dans les bras de la liberté. Telle est la parité de tous les autres biens de l’âme, tranquillité, franchise, libéralité, constance, résignation, puissance de souffrir ; car tous ont un même fondement, la vertu, qui maintient l’âme en équilibre et invariable.

« Comment donc ? Point de différence entre le contentement et cette constance que ne font point fléchir les douleurs ? » Aucune, quant au fond même des vertus ; beaucoup, quant aux situations où chaque vertu se déploie : car ici l’âme est dans une aisance et un abandon naturels ; là, c’est une crise contre nature. J’appellerai donc indifférentes les situations qui peuvent recevoir beaucoup de plus et de moins ; mais dans chacune les vertus sont égales. Elles ne changent pas avec la circonstance ; que celle-ci soit dure et difficile ou heureuse et riante, elles n’en deviennent ni pires ni meilleures ; nécessairement donc ce sont des biens égaux entre eux. De deux sages, l’un ne se comportera pas mieux dans sa joie que l’autre dans ses tortures : or deux choses qui n’admettent plus d’amélioration sont égales. Car s’il y a quelque chose au delà de la vertu ou qui puisse l’amoindrir ou l’accroître, l’honnête cesse d’être l’unique bien. La concession d’un tel fait est l’entière destruction de l’honnête. Pourquoi ? C’est que rien n’est honnête de ce qui se fait à contre-cœur et avec répugnance. Tout acte honnête est volontaire : apportez-y de la paresse, des murmures, de