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LETTRE LXV.

Opinions de Platon, d’Aristote et des stoïciens sur la cause première.

La maladie m’a pris une partie de la journée d’hier : toute la matinée a été pour elle, elle ne m’a laissé que l’après-midi. J’en profitai d’abord pour essayer de la lecture ; puis, mon esprit l’ayant pu soutenir, je me risquai à lui commander ou plutôt à lui permettre davantage. Je me mis à écrire, et même avec plus d’application qu’à l’ordinaire, en homme qui lutte avec un sujet difficile et qui ne veut pas être vaincu. Enfin il me vint des amis qui me firent violence et m’arrêtèrent tout court comme un malade intempérant. Je cessai d’écrire pour converser ; et je vais t’exposer le sujet sur lequel nous sommes en litige. Nous t’avons constitué arbitre ; tu as plus à faire que tu ne penses ; trois parties sont au procès.

Nos stoïciens disent, comme tu sais, qu’il y a dans la nature deux choses, principes de tout ce qui se fait, la cause et la matière. La matière, gisante et inerte, se prête à tout, toujours au repos, si nul ne la met en mouvement. La cause, c’est-à-dire l’intelligence, façonne la matière et lui donne le tour qui lui plaît ; elle en tire des ouvrages de toute espèce. Il faut donc qu’il y ait et la substance dont se fait la chose et l’action qui la fait : celle-ci est la cause, l’autre est la matière. Tout art est une imitation de la nature ; et ce que je disais touchant l’œuvre de la nature doit s’appliquer aux œuvres de l’homme. Une statue a exigé une matière qui souffrit le travail de l’artiste, et un artiste qui donnât à cette matière une figure. Dans cette statue la matière était l’airain, la cause le statuaire. Toute autre chose est dans ces conditions : elle se compose de ce qui prend une forme et de ce qui la lui imprime. Les stoïciens veulent qu’il n’y ait qu’une cause, la cause efficiente. Suivant Aristote, la cause est de trois genres. La première, dit-il, est la matière même, sans laquelle rien ne peut se faire ; la seconde est l’ouvrier ; la troisième est la forme, qui s’impose à chaque