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un calme inébranlables ; il vit de pair avec les dieux. Examine-toi maintenant. N’es-tu jamais chagrin, l’espérance n’agite-t-elle jamais ton âme impatiente de l’avenir, le jour comme la nuit cette âme se maintient-elle constamment égale, élevée et contente d’elle-même ? tu es arrivé au comble du bonheur humain. Mais si tu appelles le plaisir et de partout et sous toute forme, sache qu’il te manque en sagesse tout ce qui te manque en satisfactions. Tu aspires au bonheur, mais tu te trompes si tu comptes y arriver par les richesses, si c’est aux honneurs que tu demandes la joie ainsi qu’aux soucis des affaires. Ce que tu brigues là comme devant te donner plaisir et contentement, n’enfante que douleurs. Oui, tous ces hommes courent après la vraie joie, mais d’où l’obtient-on durable et parfaite, ils l’ignorent. L’un la cherche dans les festins et la mollesse ; l’autre dans l’ambition, dans un nombreux cortège de clients ; celui-ci dans l’amour, celui-là dans un vain étalage d’études libérales, et dans les lettres, qui ne guérissent de rien. Amusements trompeurs qui les séduisent tous un moment, comme l’ivresse qui compense un instant de joyeux délire par de longues heures d’abattement, comme les applaudissements et les acclamations de la faveur populaire qui s’achètent et s’expient par de si vives anxiétés.

Persuade-toi bien que la sagesse a pour résultat une joie toujours égale. L’âme du sage est en même état que la partie de l’atmosphère supérieure à la lune : elle possède la sérénité sans fin40. Tu as donc pour vouloir être sage ce motif que le sage n’est jamais sans joie. Cette joie ne peut naître que de la conscience de ses vertus. Elle n’est faite que pour l’homme de cœur, l’homme juste, l’homme tempérant. « Quoi ? diras-tu, les sots et les méchants ne se réjouissent-ils pas ? » Pas plus que le lion qui a trouvé sa proie. Quand ils se sont fatigués de vin et de débauches, que la nuit cesse avant leurs orgies, et que les mets les plus exquis entassés dans leur estomac trop étroit commencent à chercher une issue, alors les malheureux s’écrient comme le Déiphobe de Virgile :

Tu te souviens, hélas ! dans quelle fausse joie
Se passa cette nuit, la dernière de Troie[1].


Toutes les nuits des débauchés se passent en plaisirs faux, et comme si chacune était pour eux la dernière. Cette autre joie,

  1. Énéid., VI 146.