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nom peu exact : de ce qui est. Nous le partagerons en deux espèces et nous dirons : ce qui est, est corporel ou incorporel. Voilà donc le genre primordial, antérieur et pour ainsi dire générique ; tous les autres sont bien des genres, mais spéciaux. Ainsi l’homme est genre, car il comprend en soi les nations de toute espèce, Grecs, Romains, Parthes ; de toute couleur, blancs, noirs, cuivrés ; il comprend les individus, Caton, Cicéron, Lucrèce. En tant qu’il contient des espèces, il est genre ; comme contenu dans un autre, il est espèce. Le genre générique, ce qui est, n’a rien qui le domine : principe des choses, il les domine toutes.

Les stoïciens veulent encore mettre au-dessus un autre genre supérieur dont je vais parler, quand j’aurai montré que celui qui vient de m’occuper obtient à bon droit la première place comme embrassant toutes choses. Je divise ce qui est en deux espèces, le corporel et l’incorporel. Il n’en est point d’autre. Comment divisé-je le corps ? En l’appelant animé ou inanimé. Ensuite comment divisé-je ce qui est animé ? Je dis : les uns ont une âme, les autres n’ont qu’une animation ; ou bien : les uns ont un élan propre, ils marchent, ils se déplacent ; les autres, fixés au sol, se nourrissent et croissent au moyen de leurs racines. Et les animaux, en quelles espèces les partageons-nous ? Ils sont mortels ou immortels. Le premier genre est, dans l’idée de quelques stoïciens, le je ne sais quoi (quiddam). D’où leur vient cette idée, le voici. Dans la nature, disent-ils, il est des choses qui sont, il en est qui ne sont pas. Or la nature embrasse même ces dernières, qui apparaissent à l’imagination, comme les centaures, les géants, et toutes ces autres créations fantastiques de l’esprit auxquelles on est convenu de donner une forme, bien qu’elles n’aient point de substance.

Je reviens à ce que je t’ai promis. Comment Platon divise-t-il tout ce qui est en six classes ? D’abord l’être en lui-même n’est saisissable ni par la vue, ni par le tact, ni par aucun sens : il ne l’est que par la pensée. Ce qui est d’une manière générale, le genre homme par exemple, ne tombe pas sous la vue ; on ne voit que des spécialités, comme Cicéron, comme Caton. Le genre animal ne se voit pas, il s’imagine ; mais on voit les espèces, le cheval, le chien. Au second rang des êtres, Platon met ce qui les domine et surpasse tous. C’est, dit-il, l’être par excellence, comme dit communément le poète : tous les faiseurs de vers sont ainsi nommés ; mais chez les Grecs ce titre n’appartient plus qu’à un seul homme. C’est d’Homère qu’on sait qu’il s’agit,