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oreille, risquer le terme essentia ; sinon je le ferai en la choquant. J’ai pour caution de ce terme-là Cicéron, assez riche, je pense, pour répondre, et si tu veux du plus moderne, Fabianus, orateur disert et élégant, brillant même pour notre goût raffiné. Car comment faire, Lucilius ? De quelle manière rendre οὐσία, la chose qui existe nécessairement, qui embrasse toute la nature, qui est le fondement des choses ? Grâce donc pour ce mot, passe-le-moi : je n’en serai pas moins attentif à user très-sobrement du droit que tu m’auras donné ; peut-être me contenterai-je de l’avoir obtenu. Mais à quoi me sert ton indulgence ? Voilà que je ne puis exprimer par aucun mot latin ce qui m’a fait chercher querelle à notre langue.

Tu maudiras bien plus l’étroit vocabulaire romain, quand tu sauras que c’est une syllabe unique que je ne puis traduire. « Laquelle ? » dis-tu. Τò ὄν. Tu me trouves l’intelligence bien dure : il saute aux yeux que l’on peut traduire cela par quod est (ce qui est). Mais j’y vois grande différence : je suis contraint de mettre un verbe pour un nom : puisqu’il le faut, mettons quod est. Platon le divise en six classes, à ce que disait aujourd’hui notre ami, dont l’érudition est grande. Je te les énoncerai toutes, quand j’aurai établi qu’autre chose est le genre, autre chose l’espèce. Car ici nous cherchons ce genre primordial auquel toutes les espèces se rattachent, d’où naît toute division, où l’universalité des choses est comprise. Il sera trouvé si nous prenons chaque dérivé en remontant toujours ; ainsi arriverons-nous au tronc primitif. L’homme est espèce, comme dit Aristote ; le cheval est espèce, le chien espèce : il faut donc à toutes ces espèces chercher un lien commun qui les embrasse et les domine. Quel est-il ? le genre animal. Voilà donc pour tous ces êtres que je viens de citer, homme, cheval, chien, le genre animal. Mais il est des choses qui ont une âme et qui ne sont point animaux : on convient, par exemple, que les plantes et les arbustes en ont une ; aussi dit-on d’eux qu’ils vivent et qu’ils meurent. Les êtres animés occuperont donc une place supérieure, puisque dans cette classe sont compris et les animaux et les végétaux. D’autres êtres sont dépourvus d’âme, comme les pierres ; ainsi il y aura un principe antérieur aux êtres animés, le corps. Je diviserai et je dirai : tous les corps sont ou animés ou inanimés. Il y a aussi quelque chose de supérieur au corps : car nous distinguons le corporel de l’incorporel. Mais d’où faudra-t-il qu’ils découlent ? De ce à quoi nous venons d’appliquer un