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plus léger, comme la maladie tend à sa guérison quand elle fait éruption de l’intérieur et porte au dehors son venin.

Et la cupidité aussi, et l’ambition et toutes les maladies de l’âme ne sont jamais plus dangereuses, sache-le bien, que lorsqu’elles s’assoupissent dans une hypocrite réforme. On semble rentré dans le calme, mais qu’on en est loin ! Si au contraire nous sommes de bonne foi, si la retraite est bien sonnée, si nous dédaignons les vaines apparences dont je parlais tout à l’heure, rien ne pourra nous distraire ; ni les voix d’une multitude d’hommes ni le gazouillis des oiseaux ne rompront la chaîne de nos bonnes pensées désormais fermes et arrêtées. Il a l’esprit léger et encore incapable de se recueillir, l’homme que le moindre cri, que tout imprévu effarouche. Il porte en lui un fonds d’inquiétude, un levain d’appréhension qui le rendent ombrageux ; comme dit notre Virgile :

Et moi, qui sous nos murs, calme au sein des alarmes,
Affrontai mille fois toute la Grèce en armes,
Un souffle me fait peur : je tremble au moindre bruit
Et pour ce que je porte et pour ce qui me suit[1].

C’est d’abord un sage que ni le sifflement des dards, ni les phalanges serrées entrechoquant leurs armes, ni le fracas d’une ville que l’on sape n’épouvantent ; c’est ensuite un homme désorienté, qui craint pour son avoir, qui au moindre son prend l’alarme ; toute voix lui semble un bruit de voix hostiles et abat son courage ; les plus légers mouvements le glacent. Son bagage le rend timide. Prends qui tu voudras de ces prétendus heureux qui traînent et portent avec eux tant de choses, tu le verras

Tremblant pour ce qu’il porte et pour ce qui le suit.


Tu ne jouiras, sois-en sûr, d’un calme parfait que si nulle clameur ne te touche plus, si aucune voix ne t’arrache à toi-même, qu’elle flatte ou qu’elle menace, ou qu’elle assiège l’oreille de sons vains et discords. « Mais quoi ? N’est-il pas un peu plus commode d’être à l’abri de tout vacarme ? » J’en conviens ; aussi vais-je déloger d’ici : c’est une épreuve, un exercice que j’ai voulu faire. Qu’est-il besoin de prolonger son malaise, quand le remède est si simple ? Ulysse a bien su garantir ses compagnons des Sirènes elles-mêmes.

  1. Énéid. II, 725. Trad. de Delille pour les deux derniers vers.