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l’autre de l’ambition, tous le sont de la peur17. Je te ferai voir des hommes consulaires valets d’une ridicule vieille, des riches, humbles servants d’une chambrière, des jeunes gens de la première noblesse courtisans d’un pantomime. Est-il plus indigne servitude qu’une servitude volontaire ? En dépit donc de tous nos glorieux, montre à tes serviteurs un visage serein et point de hautaine supériorité. Qu’ils te respectent plutôt qu’ils ne te craignent.

On me dira que j’appelle les esclaves à l’indépendance, que je dégrade les maîtres de leur prérogative, parce qu’à la crainte je préfère le respect ; oui je le préfère, et j’entends par là un respect de clients, de protégés. Mes contradicteurs oublient donc que c’est bien assez pour des maîtres qu’un tribut dont Dieu se contente : le respect et l’amour. Or amour et crainte ne peuvent s’allier. Aussi fais-tu très-bien, selon moi, de ne vouloir pas que tes gens tremblent devant toi et de n’employer que les corrections verbales. Les coups ne corrigent que la brute.

Ce qui nous choque ne nous blesse pas toujours ; mais nos habitudes de mollesse nous disposent aux emportements, et tout ce qui ne répond pas à nos volontés éveille notre courroux. Nous avons pris le caractère des rois : les rois, sans tenir compte de leur force et de la faiblesse de leurs sujets, se livrent à de tels excès de fureur et de cruauté, qu’on les croirait vraiment outragés si la hauteur de leur fortune ne les mettait fort à l’abri de tels risques. Non pas qu’ils l’ignorent, mais de leur plainte même[1] ils tirent un prétexte pour nuire ; ils supposent l’injure, pour avoir droit de la faire18.

Je ne t’arrêterai pas plus longtemps : tu n’as pas ici besoin d’exhortation. Les bonnes habitudes ont entre autres avantages celui de se plaire à elles-mêmes, de persévérer ; les mauvaises sont inconstantes ; elles changent souvent, non pour valoir mieux, mais pour changer.

  1. Je lis querendo avec J. Lipse. au lieu de quærendo.