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DES BIENFAITS, LIVRE VII.

dieux est sacrilège : or toute chose leur appartient ; tout ce qu’on prend on le prend donc aux dieux : quiconque prend la moindre chose est donc sacrilège. » Après quoi il nous invite à forcer les temples et à piller impunément le Capitole, en disant que le sacrilège n’existe pas, attendu que tout ce qu’on enlève d’un endroit appartenant aux dieux est transféré dans un endroit qui leur appartient. Ici l’on répond : « Tout sans doute appartient aux dieux, mais tout ne leur est pas consacré. On ne reconnaît de sacrilège qu’à l’égard des choses que la religion assigne à la Divinité. Ainsi le monde entier est le temple des immortels, le seul temple digne de leur grandeur et de leur magnificence6 ; et cependant le profane se distingue du sacré, et tout n’est pas licite dans le sanctuaire appelé fanum, comme il pourrait l’être sous le ciel et en présence des astres. L’homme sacrilège ne peut faire injure à Dieu, que sa nature céleste a placé hors de toute atteinte : mais il est puni pour l’avoir voulu outrager comme Dieu. Sa conscience, comme la nôtre, l’oblige à une réparation pénale. » De même donc qu’on juge sacrilège celui qui dérobe un objet sacré, bien que le fruit du vol, quelque part qu’il l’ait transporté, se trouve dans les limites du monde ; de même on peut voler le sage. Car on lui soustrait non point de ces choses qui rentrent dans son universelle souveraineté, mais de celles qu’il possède à titre particulier, qui lui servent personnellement. Il ne reconnaîtra, lui, que la possession du premier genre ; pour la seconde, il n’y prétendra point, quand il le pourrait ; et on l’entendra dire, comme ce général romain (Cur. Dentatus) auquel on décernait, pour prix de sa valeur et de son dévouement au service de l’État, tout le terrain qu’un sillon de charrue pourrait embrasser en un jour : « Vous n’avez pas besoin d’un citoyen qui aurait besoin de plus qu’un autre citoyen, i N’y avait-il pas, dis-moi, plus de grandeur à refuser cette offre qu’à l’avoir méritée ? Car beaucoup envahissent les limites d’autrui, nul ne s’en donne à soi-même.

VIII. Ainsi quand nous considérons l’âme du sage, cette souveraine de toutes choses, rayonnant comme telle sur le monde entier, nous disons que tout lui appartient ; quant à son droit vulgaire de propriété, il consiste, le cas échéant, à payer le cens personnel. Bien autre chose est de priser sa richesse d’après la grandeur de son âme ou sur le rôle de l’impôt : l’idée de tout avoir, comme vous l’entendez, le révolterait. Je ne rappellerai point Socrate, Chrysippe, Zénon ni tant d’autres grands