Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome I.djvu/507

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
470
DES BIENFAITS, LIVRE VI.

gorge te le barrera, et tu jugeras des pertes qui t’attendent par ce que le détroit des Thermopyles t’aura coûté. Tu verras que l’on peut te vaincre en voyant qu’on peut t’arrêter. Sans doute on t’abandonnera plusieurs points comme à un torrent déchaîné, dont la première furie sème une grande terreur en passant ; mais peu après tout se lèvera d’un même élan, et tes propres forces seront refoulées sur toi. On dit vrai lorsqu’on t’assure que tes apprêts de guerre sont trop vastes pour tenir dans toute l’enceinte du pays qu’ils menacent ; mais cela même est contre nous. La Grèce triomphera de toi par cela même que tu ne peux t’y loger, t’y mouvoir utilement tout entier. Bien plus : ce qui pour une armée est le grand moyen de salut, tenir tête aux chocs imprévus, porter secours aux points qui faiblissent, te sera impossible, comme de prévenir ou d’arrêter le désordre. Tu seras défait bien avant de sentir ta défaite. Ne crois pas non plus que tout doive céder à tes troupes par la raison que leur chef lui-même n’en sait pas le nombre ? Il n’est chose si grande qui n’ait chance de périr ; car, de sa grandeur même, défaut d’autre ennemi, naît la cause qui la tuera. » Tout arriva comme Démarate l’avait prédit. Celui qui s’attaquait aux dieux et aux hommes, qui forçait la nature dès qu’elle lui faisait obstacle, fut arrêté tout court par trois cents guerriers, et, en jonchant de ses débris épars8 toute la Grèce[1], Xerxès apprit quelle différence il y a d’une multitude à une armée. Alors, plus malheureux de son humiliation que de ses pertes, il remercia Démarate de lui avoir seul parlé sans feinte, et lui permit de demander ce qu’il voulait. Celui-ci demanda de faire son entrée dans Sardes, l’une des plus grandes villes d’Asie, monté sur un char, et la tiare droite sur le front, honneur réservé aux rois seuls9. Il était digne de cette récompense s’il ne l’eût demandée. Mais que je plains une nation où le seul homme qui dît la vérité au prince ne savait pas se la dire à lui-même !

XXXII. Le divin Auguste exila sa fille, impudique au delà de toute la portée flétrissante du mot, et rendit publics les scandales de la maison impériale : des amants introduits par bandes ; Rome devenue le théâtre nocturne de leurs orgies ambulantes ; le Forum, et cette même tribune d’où le père avait proclamé la loi qui punit l’adultère, choisis par la fille pour y consommer les siens ; ces rendez-vous à la statue de Marsyas, où l’on s’attroupait tous les jours10, quand, d’épouse infidèle, travestie

  1. Voy. de la Colère III, xvi.