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DES BIENFAITS, LIVRE IV.

mon bienfaiteur. Car que rendre à un roi ; que rendre à un riche si je suis pauvre, quand surtout certains hommes prennent la restitution d’un bienfait pour une offense et vont toujours accumulant de nouvelles largesses sur les premières21 ? Pour de tels personnages puis-je rien de plus que vouloir ? Dois-je en effet repousser un nouveau don, parce que je n’ai pas rendu encore le premier ? J’accepterai d’aussi bonne grâce qu’on me donnera, et mon ami trouvera en moi matière toute prête pour exercer sa munificence22. Ne vouloir pas d’un nouveau bienfait, c’est s’offenser de ceux qu’on a reçus. Je ne m’acquitte point, qu’importe ? Suis-je cause du retard, si l’occasion ou la faculté me manque ? Lui ne m’a obligé que parce qu’il a eu l’une et l’autre. Est-il bon ou méchant ? S’il est bon, ma cause est bonne ; s’il ne l’est pas, je ne la défends point.

Je ne pense pas non plus qu’il faille s’acquitter, même au déplaisir de nos bienfaiteurs, en toute hâte, et les poursuivre alors qu’ils reculent. Ce n’est point payer de retour que de rendre contre leur gré quand tu n’as point reçu contre le tien. Au plus mince cadeau qu’on leur envoie, certaines gens ripostent vite et mal à propos par un autre, puis vont protestant qu’ils sont quittes. C’est une sorte de refus que ce brusque retour de politesse : c’est effacer un présent par un présent.

Quelquefois même je ne rendrai pas, quoique je le puisse. Quand cela ? Lorsque je devrais m’ôter à moi plus que je ne donnerais à mon ami, et qu’il ne sentirait pas s’il gagne rien à une restitution qui me dépouillerait de beaucoup. S’empresser de rendre à toute force est moins d’un cœur reconnaissant que d’un débiteur. En deux mots : qui désire trop tôt se libérer doit à contre-cœur ; qui doit à contre-cœur est ingrat23.


LIVRE V.

I. Dans les livres précédents j’avais, ce semble, complété ma tâche, ayant traité de la manière dont il faut donner et recevoir : car cette partie de nos devoirs est limitée dans ces deux termes. Si je m’attarde encore, ce n’est pas que le sujet m’y oblige, mais je m’y complais : or, il faut aller où il conduit, non vers tous les points de vue qu’il ouvre. À chaque pas,