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DES BIENFAITS, LIVRE II.

convenablement et sans effort, comme il l’a reçue. » La comparaison est inexacte. » Pourquoi ? « Parce que la beauté du jeu consiste dans les mouvements d’un corps agile, non dans l’intention ; parce qu’un entier développement est nécessaire aux actes qui ont les yeux pour juges. » Et pourtant je ne te refuserai pas le nom de bon joueur si, ayant reçu la balle comme tu le devais, il n’a pas tenu à toi qu’elle ne fût renvoyée. « Mais, poursuit-on, bien que l’art du joueur n’y perde rien, puisqu’il a fait ce qui dépendait de lui, et qu’il est capable de faire le reste, le jeu toutefois demeure imparfait, ce jeu qui ne s’exécute bien que tant que la balle est tour à tour servie et rendue. » Je ne prolongerai pas cette réfutation ; j’accorderai qu’il en soit ainsi : que le jeu y perde et non le joueur ; de même aussi, dans la question présente, il y aura perte sur le bienfait auquel on doit la pareille ; mais rien ne manque à l’âme, elle a trouvé sa digne rivale, qui a fait, autant qu’il était en elle, tout ce qu’elle voulait faire.

XXXIII. Un service m’a été rendu ; je l’ai reçu de la manière que le bienfaiteur voulait qu’il le fût ; dès lors il a ce qu’il désire, la seule chose qu’il désire : je suis donc reconnaissant. Après cela il lui reste le droit d’user de moi et l’avantage tel quel que peut offrir un homme reconnaissant ; mais ce n’est pas là le complément d’une dette à demi payée, c’est un accessoire au payement. Phidias fait une statue : le fruit de l’art est autre chose que le loyer de l’artiste ; le fruit de l’art, c’est d’avoir réalisé l’idée ; le loyer de l’artiste, c’est de l’avoir réalisée avec profit. Phidias a parfait son œuvre, bien qu’il ne l’ait pas vendue. Il en recueille un triple fruit, d’abord la satisfaction intérieure de l’avoir achevée, puis la gloire, et enfin le profit que lui rapportera soit la reconnaissance, soit le prix de la vente, soit quelque autre avantage. De même le premier fruit du bienfait est l’intime jouissance que goûte celui qui a fait parvenir où il a voulu les effets de sa générosité. Vient ensuite la gloire, et en troisième lieu ce que l’obligé peut rendre à son tour. Ainsi lorsqu’un service est reçu de bon cœur, son auteur en a déjà recueilli la valeur, mais non le salaire effectif. Je dois donc ce qui est en dehors du bienfait même, mais ce bienfait, la manière dont je l’ai reçu l’a payé.

XXXIV. « Qu’est-ce à dire ? On a payé de retour quand on n’a rien fait ? » D’abord, on a beaucoup fait : à un cœur généreux on a offert un cœur touché ; comme entre amis, tout s’est passé d’égal à égal. Distinguons en outre : un bienfait ne s’ac-