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APOKOLOKYNTOSE.


avoir partout maison prête. Suivaient les deux préfets[1] Justus Catonius et Rufus fils de Pompeius ; puis ses amis Saturnius Luscius et Pedo Pompeius et Lupus et Celer Asinius, consulaires ; enfin la fille de son frère, la fille de sa sœur, son gendre, son beau-père, sa belle-mère, toute sa parenté au complet. Ils marchent par bande serrée au-devant de Claude, qui les voyant s’écrie : « Tout est plein de mes amis I Comment êtes-vous ici, vous autres ? »

Alors Pedo Pompeius : « Que dis-tu, monstre de cruauté ? Comment nous sommes ici ? Et quel autre nous y a envoyés que toi, bourreau de tous tes amis ? Allons devant le juge : je te ferai voir qu’ici nous en avons. »

XIV. Il le conduit au tribunal d’Éaque. Celui-ci informait d’après la loi Cornélia contre les assassins. Pedo requiert que le nom de Claude soit mis au rôle, et signe l’acte d’accusation, qui porte trente sénateurs tués, des chevaliers romains jusqu’à trois cent quinze et plus, et d’autres citoyens, tout autant qu’il est de grains de sable et de grains de poussière[2]. Épouvanté, Claude jette les yeux tout autour de lui, cherchant quelque défenseur pour plaider sa cause. Pas un avocat ne se trouve. Enfin s’avance P. Pétronius[3], son ancien convive, sachant parler le baragouin de Claude ; il demande à le défendre ; refusé. L’accusateur Pedo crie et déclame fort, Pétronius se sent des velléités de répondre. Éaque, le plus juste des hommes, l’en empêche. Ouïe la partie adverse seulement, il condamne et dit :

Jugé, comme il jugea ; c’est de toute équité.

Il se fit un grand silence. Tous étaient stupéfaits, étourdis par la nouveauté de la chose qui, disait-on, ne s’était jamais vue. Claude la trouvait inique plutôt que nouvelle. On disputa longtemps sur le genre de peine : que devra-t -on lui infliger ? Il y en eut qui dirent : « Si l’on donnait vacance à quelque[4] criminel qu’il remplacerait ? Tantale mourra de soif si on ne lui vient en aide ; jamais Sisyphe n’est relevé de sa tâche ; il faut bien qu’un jour la roue du malheureux Ixion soit enrayée. »

  1. Ce personnage, et tous ceux qui sont cités après lui, avaient péri comme complices du mariage de Silius.
  2. Iliad., IX, 309.
  3. Voy. Tacite, Ann., VI, 45. Il bégayait comme Claude.
  4. Au texte : si uni dii laturam fecissent… ce qui n’offre pas de sens. Je proposerais : si uni dilationem… ou dilaturam (qu’on ne trouve nulle part), s’il était latin.