Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome I.djvu/311

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
274
APOKOLOKYNTOSE


voyez, cachée tant d’années à l’abri de mon nom, m’a témoigné sa reconnaissance en faisant mourir d’abord deux Julies, mes petites-filles, l’une par le fer, l’autre par la faim, puis mon arrière-neveu L. Silanus. Prends garde, Jupiter, la cause est mauvaise ; en tous cas elle te touche de près. Si cet être doit siéger parmi nous, je lui dirai Divin Claude, pourquoi tous ceux que tu as fait périr, hommes ou femmes, les as-tu condamnés sans jamais instruire leur procès’, sans les entendre ? Est-ce une chose qui se fasse ? Au ciel du moins elle ne se fait pas.

XI. Voilà Jupiter : depuis tant d’années qu’il règne, il n’a cassé qu’une jambe, celle de Vulcain

Qu’il saisit par un pied et lança de l’Olympe[1].

Il s’est aussi fâché contre sa femme, et l’a suspendue à la voûte du ciel ; mais l’a-t-il tuée ? Toi, qu’as-tu fait de Messaline, dont j’étais le grand-oncle au même titre que je suis le tien ? Tu l’as mise à mort. « Je ne sais pas, dis-tu[2]. » Que le ciel te maudisse ! N’y a-t-il pas plus de honte encore à ne l’avoir pas su qu’à l’avoir fait ? Oui, il a sans interruption continué Caligula mort. Celui-ci tua son beau-père, Claude tue son gendre. Caligula défendit qu’on donnât au fils de Crassus le surnom de Magnus ; Claude lui rend son surnom et lui prend sa tête. Il immole, dans une seule famille, Crassus Magnus, Scribonia, Tristionia, Assario, tous dignes de leur noblesse, sauf Crassus, si complètement sot qu’on aurait pu en faire un roi[3].

Songez donc, pires conscrits, quel est ce monstre qui sollicite pour qu’on l’admette au rang des dieux 1 Voudrez-vous maintenant faire de lui un des vôtres ? Voyez ce corps, pétri par la colère céleste. Au surplus, qu’il prononce seulement trois paroles de suite, et je veux qu’il m’emmène comme esclave. Lui un dieu ! À quel culte, à quelle foi pourra-t-il prétendre ? Vous-mêmes, si vous divinisez de tels êtres, qui croira en votre divinité ? Pour conclure, pères conscrits, si je me suis décemment comporté parmi vous, si je n’ai répondu malhonnêtement à personne, vengez mes injures. Or voici mon vote motivé. » Et prenant ses tablettes, il lut :

Attendu que le divin Claude a fait périr son beau-père Ap-

  1. Iliade, I, 59.
  2. Narcisse avait pris sur lui d’ordonner le meurtre.
  3. Même idée qu’au chap. i.