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DE LA PROVIDENCE.


dès la première heure de sa naissance. Les causes s’enchaînent aux causes : nos destins publics et privés sont liés à toute une série d’événements qui les mènent.

Souffrons donc tout avec courage : car tout arrive, non pas comme on croit, par hasard, mais à son heure. Il a été réglé dès longtemps quels seraient tes joies et tes pleurs ; et bien que la vie de chaque homme se colore en apparence de grandes variétés qui la distinguent, le tout se résume au même point : passagers, nous avons reçu des biens passagers. Pourquoi tant nous indigner ? Pourquoi nous plaindre ? C’est pour cette fin qu’on nous a créés. Que la nature use à son gré de notre argile qui est sa chose ; nous, satisfaits, quoi qu’il arrive, et courageux, songeons que rien ne périt de ce qui est nôtre. Quel est le devoir d’une âme vertueuse ? De s’abandonner au destin. C’est une grande consolation d’être emporté avec l’univers. Quelle que soit la loi qui nous impose cette vie et cette mort, elle est la même nécessité qui lie aussi les dieux : une marche irrévocable entraîne les choses humaines comme les choses divines. L’auteur et le moteur de l’univers a écrit la loi des destins, mais il y est soumis : il obéit toujours, il a ordonné une seule fois16.

« Mais encore, comment Dieu fut-il assez injuste dans le partage des destinées pour assigner aux bons la pauvreté, les blessures, les morts prématurées ? » L’ouvrier ne peut changer la matière : il ne l’a que pétrie. Chaque être a ses conditions inséparables, cohérentes, indivisibles. Les natures languissantes et vouées au sommeil, ou dont la veille ressemble au dormir des autres, sont fabriquées d’éléments inertes : pour produire un homme digne de renommée, il faut un principe d’action plus puissant. Sa route ne sera pas unie : il lui faudra monter et descendre, céder aux flots et naviguer dans la bourrasque et poursuivre sa course ayant la Fortune contraire. Que d’écueils aussi, que d’obstacles ! Il les émoussera, les aplanira par lui-même. Le feu éprouve l’or ; et les revers, l’homme courageux17. Vois à quelle hauteur doit s’élever la vertu, et juge si elle peut marcher par des voies sans péril.

Un chemin escarpé commence ma carrière.
Mes coursiers rafraîchis, sortant de la barrière,
Ne gravissent qu’à peine à la cime des airs.
Là, tout dieu que je suis, du haut de l’Univers
Je ne puis sans effroi voir l’abîme du vide.
Enfin de mon déclin la pente est si rapide,