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DE LA PROVIDENCE.


Le courage est avide de périls : il songe où il tend, non à ce qu’il va souffrir : car les souffrances sont elles-mêmes une part de la gloire. Le guerrier est fier de ses blessures : il étale avec complaisance le sang qu’il est heureux de répandre ; et au retour de la bataille, quoique les autres aient aussi bien fait, les regards s’attachent surtout aux blessés.

Je le répète, Dieu traite en favoris9 ceux qu’il veut conduire à la perfection de la gloire, chaque fois qu’il leur offre matière à exercer leur courage et leur force d’âme, ce qui implique toujours quelque position difficile. Le pilote se fait connaître dans la tempête, et le soldat dans la mêlée. Comment saurais-je combien tu serais fort contre la pauvreté, si tu nages dans l’opulence ; combien tu opposerais de constance à l’ignominie, aux diffamations, aux haines populaires, si tu vieillis au milieu des applaudissements, si l’invariable faveur et je ne sais quel entraînement des esprits subjugués t’accompagnent partout ? Comment saurais-je avec quelle résignation tu supporterais la perte de tes enfants, si tous tes rejetons sont encore sous tes yeux ? Je t’ai entendu prodiguer aux autres des consolations ; j’aurais pu te juger, si tu t’étais consolé toi-même, si tu avais toi-même fait taire ta douleur. Ah ! je t’en conjure, garde-toi de frémir à la vue des épreuves que nous envoient les dieux comme pour aiguillonner nos âmes. L’adversité est l’occasion de la vertu10.

On aurait droit d’appeler malheureux ceux que l’excès du bonheur engourdit, et qu’un calme de mort tient comme enchaînés sur une mer immobile. Pour ceux-là tout accident sera nouveau. Le malheur est plus cruel quand on ne l’a jamais connu ; le joug pèse davantage à une tête qui n’y est point faite. Le soldat novice pâlit à l’idée d’une blessure ; le vétéran voit avec fermeté couler son sang ; il sait que ce sang a souvent préparé la victoire.

De même les élus de Dieu, ses bien-aimés, il les endurcit, il les éprouve, il les exerce ; les autres, qu’il paraît traiter avec indulgence, avec ménagement, il les garde comme une proie sans défense pour les maux à venir. Car c’est une erreur de croire que personne soit exempt : cet homme si longtemps heureux aura son tour. Quiconque te semble absous n’est qu’ajourné.

« Mais comment est-ce aux plus hommes de bien que Dieu inflige les maladies, les disgrâces de tout genre ? » Et comment à la guerre les expéditions les plus périlleuses sont-elles