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CONSOLATION A HELVIA.

nera des arrière-petits-fils ; je l’avais si bien adoptée dans mes affections, qu’après ma perte, et tout en conservant son père, elle pourrait sembler orpheline. Aimez-la pour vous et pour moi. Le sort vient de lui ravir sa mère ; votre tendresse peut, sans effacer ses regrets, faire qu’elle sente moins son isolement. Qu’elle sache de vous régler ses mœurs et son extérieur : les leçons pénètrent plus avant quand elles s’impriment dans un âge encore tendre. Qu’elle prenne goût à vos entretiens ; qu’elle se forme à votre école. Quels dons vous lui ferez, quand vous ne lui donneriez que l’exemple ! Ce devoir solennel sera votre premier remède : les douleurs pieuses comme la vôtre n’ont de distraction possible que la raison, ou une noble tâche à remplir. Je compterais aussi votre père parmi vos grandes consolations, s’il n’était loin de vous. Mais votre cœur vous dira quels sont les intérêts du sien : vous sentirez combien il est plus juste de vous conserver pour lui que de vous sacrifier pour moi. Dans ses accès immodérés, quand la douleur s’emparera de vous, quand elle voudra vous entraîner, songez à votre père. Multipliée pour lui dans vos enfants et vos petits-enfants, vous n’êtes plus son seul bien ; toutefois, comme couronne de son heureuse carrière, il n’a que vous. Lui vivant, ce serait chose impie que de vous plaindre d’avoir trop vécu.

XVII. Je n’ai point nommé jusqu’ici celle qui sait le mieux adoucir vos peines, votre sœur, ce cœur si fidèle, dans lequel s’épanchent tous vos ennuis comme dans une autre vous-même, cette âme qui pour nous tous est une âme de mère. C’est elle qui mêla ses larmes aux vôtres ; c’est près d’elle que vous commençâtes à respirer. Vos affections deviennent toujours les siennes ; mais quand il s’agit de moi, ce n’est pas uniquement pour vous qu’elle s’afflige. Apporté à Rome dans ses bras, c’est par ses tendres soins de mère et de nourrice que je fus rétabli d’une longue maladie ; c’est aux efforts de son crédit que je dus ma questure ; et cette femme, si timide à soutenir le moindre entretien, à rendre un salut à haute voix, surmonta sa réserve par dévouement pour moi. Ni ses habitudes retirées, ni sa modestie, toute villageoise auprès de l’effronterie de tant de femmes, ni son amour du repos, ni ses mœurs solitaires et paisibles ne la retinrent : elle se fit pour moi solliciteuse.

Voilà, mère bien-aimée, celle qui saura vous consoler et vous raffermir : rapprochez-la de vous le plus possible, embrassez-la de la plus étroite affection. La douleur fuit d’ordinaire ceux qu’elle aime le plus, et cherche à s’exhaler en liberté :