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CONSOLATION A HELVIA.

brillant mais trompeur, et n’ayant rien au fond qui répondît aux apparences. Dans ce qu’on appelle mal, je ne vois rien de si effrayant ni de si dur que me le faisait craindre l’opinion du vulgaire. Le mot en lui-même, par une sorte de préjugé et de convention, frappe désagréablement l’oreille ; il semble sinistre et d’odieux augure ; ainsi l’a voulu le peuple : mais les arrêts du peuple se cassent souvent au tribunal des sages.

VI. Laissant donc l’opinion commune qu’entraîne la première vue des choses, telle qu'on l'a cru saisir, voyons ce que c’est que l’exil. Rien au fond qu’un changement de lieu. Pour ne point sembler circonscrire la portée du mot et dissimuler les rigueurs qu’il comporte, j’ajoute que ce changement de lieu est suivi d’inconvénients, tels que la pauvreté, l’ignominie, le mépris, épouvantails que je combattrai plus tard. Je ne veux tout d’abord traiter que cette question : Quelle amertume ce changement apporte-t-il en soi ? Vivre expatrié, dit-on, est une chose insupportable. Eh bien ! voyez toute cette population à laquelle suffisent à peine les demeures de notre immense capitale : la plupart ont quitté leur patrie. Des municipes, des colonies, de tous les points du globe ils sont accourus en foule. Les uns y sont amenés par l’ambition, par les devoirs d’un emploi public, par la charge d’une ambassade, par l’amour du plaisir qui cherche, où la fortune abonde, un lieu commode à la corruption ; certains s’y rendent par goût pour les beaux-arts ou pour les spectacles ; tel y est entraîné par l’amitié, tel autre par ses talents, qu’il trouve à produire dans tout leur éclat sur ce grand théâtre ; celui-ci vient y vendre sa beauté, celui-là son éloquence. Toute espèce d’hommes afflue dans cette ville qui propose de riches salaires aux vertus comme aux vices. Faites comparaître devant vous tous ses habitants ; demandez à chacun d’où il est ; vous verrez que la plupart ont déserté leur pays natal pour la ville, il est vrai, la plus grande et la plus belle du monde, mais qui pourtant n’est point la leur. Après cette Rome, que l’on peut dire la commune patrie, passez en revue les autres villes, il n’en est point qui ne renferme en grande partie des étrangers. Maintenant, de ces contrées où l’agrément du site et l’avantage des lieux attirent le plus de monde, transportez-vous aux déserts, aux îles les plus sauvages, à Sciathos, à Séripbe, à Gyare et en Corse, vous ne trouverez pas de si affreux exil où quelqu’un ne demeure par prédilection. Est-il rien d’aussi nu, d’aussi escarpé de toutes parts que mon rocher4 ? Est-il un sol plus