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parlait de vous et de ce qu’il vous devait ! Quels yeux ! Et quelle vivacité dans sa reconnaissance ! Pauvre garçon ! Il souffre de ne pas pouvoir vous le dire comme il le voudrait !

Abel.

Je suis bien content, mon bon Barcuss, de vous l’avoir donné et de l’avoir remis à votre garde ; avec vous, modèle des Basques, il achèvera de devenir un saint, et un serviteur comme on n’en voit guère, comme on n’en voit pas. »

Abel partit en riant.

« Demain, se dit-il, mon pauvre Jean ne sera pas Jean qui rit ; il quitte son frère, ses habitudes ; moi aussi, je lui manquerai ; ce ne sera plus de même, comme il le disait très justement… Et moi aussi, je suis un peu triste de perdre cette bonne heure de déjeuner. C’est singulier comme j’aime ce brave garçon ; je m’y suis attaché petit à petit. Je regrette presque de ne l’avoir pas gardé pour moi… Mais non ; mon excellente amie me l’a demandé pour Roger ; un regret même serait égoïste et coupable… Pauvre petit Roger ! Quel saint enfant !… À dix ans avoir le courage, la patience, la ferveur d’un martyr… Vraie bénédiction du bon Dieu !… Et les parents la méritent. »

Le matin, lorsque Abel arriva au café, il trouva Simon et Jean qui l’attendaient ; ils s’empressèrent de le servir pour la dernière fois. Simon avait l’air heureux du sort que lui avait fait son excellent bienfaiteur. Le pauvre Jean avait la mine d’un condamné à mort ; soit qu’il regardât M. Abel, soit