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« Si j’avais une fille comme Mlle Félicie, pensa-t-il, c’est elle qui en recevrait ! Le chemineau a bien fait de boire un coup de trop ; s’il avait été dans son bon sens, il n’aurait jamais osé, … et pourtant elle le méritait bien. »

Félicie resta assise au pied de son arbre, réfléchissant sur ce qui s’était passé ; parfois des larmes de rage s’échappaient de ses yeux.

« Pourvu qu’on ne le sache pas ! se disait-elle. Je mourrais de honte !… Moi, fille du comte d’Orvillet, battue par un paysan !… Jamais je ne sortirai seule… Ma bonne aurait dû me reconduire ; c’est très mal à elle de m’avoir laissée revenir seule… Et ces imbéciles de Germain qui n’avaient rien à faire, ils auraient bien pu m’accompagner… Et comme c’est heureux que ce Germain ne soit pas venu cinq minutes plus tôt, pendant que ce brutal paysan me battait ! Il aurait été enchanté ; il l’aurait raconté à tout le village. C’est si grossier, ces paysans ! Clodoald me le disait bien l’autre jour. Ils ne sentent rien, ils ne comprennent rien… Aïe ! le dos et les épaules me font un mal ! Je ne peux pas me redresser… J’ai mal partout. Ce méchant homme ! Si je pouvais me venger, du moins… Mais je ne peux pas ; il faut que je me taise… Tout le monde se moquerait de moi. »

Félicie se mit à pleurer, le visage caché dans ses mains. Elle ne vit pas approcher sa bonne, son frère et sa sœur, qui s’étaient arrêtés devant elle et qui la regardaient pleurer.