Page:Sée - Les Origines du capitalisme moderne.djvu/187

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du mouvement chartiste, que les syndicats ouvriers de la grande industrie finissent par abandonner[1]. En France, à la même époque, on peut constater des faits analogues : Adolphe Blanqui remarque que les manufactures n’ayant qu’un outillage rudimentaire ne peuvent lutter contre la concurrence d’établissements mieux organisés qu’à la condition de réduire les salaires de leurs ouvriers[2].


5. Grâce au capitalisme, les distinctions économiques se substituent aux distinctions juridiques. — Une autre conséquence du triomphe du capitalisme, ce sera de donner aux classes sociales un fondement plus économique que juridique.

Or, c’était l’inverse qui se produisait sous l’ancien régime. Aux XVIIeet XVIIIe siècles, en France, on a vu se renforcer les distinctions sociales d’ordre juridique. C’est ainsi que la noblesse, bien que continuant à se recruter, en une certaine mesure, dans la classe des enrichis (surtout dans le monde des gens de finance), tend aussi à devenir, par certains côtés, une caste fermée. Les réformations de la noblesse de l’époque de Louis XIV, bien qu’ayant été surtout des mesures fiscales, ont retranché de la noblesse les familles de récente extraction, surtout les familles qui continuent à se livrer au commerce, les magistrats des sièges secondaires, les gentilshommes enfin qui sont trop pauvres pour faire valoir leurs droits. Ainsi, au XVIIIe siècle, les sièges parlementaires sont fermés aux roturiers et, d’autre part, la noblesse n’a plus guère d’autre ressource ou d’occupation que les charges militaires. Le fossé se creuse de plus en plus entre les nobles et les roturiers[3].

  1. E. Halévy, Histoire du peuple anglais, t. III, pp. 305-306.
  2. Ad. Blanqui, Des classes ouvrières pendant l’année 1848, Paris, 1849, pp. 43-45.
  3. Voy. H. Sée, La France, économique et sociale au XVIIIe siècle, 1925 (Coll. Armand Colin), pp. 73-74.