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Je me sens presque craintive, dominée par ce rythme qui chante à mes sens une mystérieuse musique ; je m’exalte silencieusement devant ce poème de grâce virile, d’élégance hautaine, de victorieuse jeunesse.

Ô Sylvius, dis-moi que tu me donnes toute ta beauté. Dis-moi qu’elle est mienne, ta tête rayonnante imprégnée de soleil, dis-moi que tu m’abandonnes ta poitrine large où je m’étends pour sommeiller, tes hanches étroites et dures, tes genoux de marbre, tes bras qui pourraient m’écraser et tes mains si chères, où mon baiser lent se dépose au creux des paumes caressantes.

J’ai regardé tes lèvres fières qui plient sous les miennes, tes dents où mes dents se sont heurtées illuminent ton sourire, ta langue chaude m’endort, et quand je m’éveille de mon vertige, c’est pour revoir ton corps triomphant, altier comme un pilier d’ivoire, ambré comme un rayon de miel.

III


Cette nuit tu as pris ma tête entre tes doigts impérieux et tu disais, les dents serrées : Ne bouge pas.

Et je me suis abandonnée, le front cerclé par la couronne ardente qui se rétrécissait.

Pourquoi n’as-tu pas enfoncé les ongles plus avant ? Je n’aurais pas bougé et la douleur, venue de toi, serait entrée délicieusement dans ma chair.

Ton désir jeune et délirant peut rompre mes muscles, courber mes os, me faire râler d’angoisse, je suis ta chose, Sylvius, ne laisse rien de moi, puisque ma volonté s’en est allée à la dérive, dans l’eau attirante de tes yeux.

Et cette nuit, passive et nue, n’étais-je pas une reine sous la couronne vivante de tes doigts refermés.

IV


Pendant cette minute inoubliable où nous nous sommes aimés plus loin que la terre, plus haut que le ciel, dans un monde resplendissant j’ai connu toutes les amours.

Un feu surnaturel les a fondues dans mon cœur, comme en un creuset dévorant.

J’ai été la mère, la sœur, l’amante ; j’ai été ta chair, ton sang, ta pensée, ton âme emportée vers l’au delà, vaste et illuminé.