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RENÉE VIVIEN




Issue d’une famille anglo-américaine, Mlle Renée Vivien est née aux Etats-Unis, en 1877. — Elle a débuté en 1901, par un volume de vers : Études et Préludes, dans lequel elle se révélait telle qu’elle devait toujours se montrer à nous dans ses autres livres, c’est-à-dire la mystique prêtresse de Sapho.

En vérité, n’est-ce point une chose étrange que cette jeune femme, oubliant sa langue et sa patrie, chantant en vers français et portant en elle l’idéal grec de la beauté plastique et de l’amour lesbien ! M. Paul Flat, qui a consacré quelques belles pages de critique à l’auteur de Sapho, ne cache pas son étonnement d’un tel miracle littéraire. « Je ne sais pas d’exemple plus saisissant de retour en arrière, dit-il, ni qui montre mieux ce phénomène singulier : un écrivain de notre race, vivant parmi nous, et que nous pouvons coudoyer, sautant à pieds joints par-dessus deux mille années de culture, pour nous faire respirer une âme tout imprégnée des senteurs de Lesbos ! » — Car, le plus surprenant, outre l’incroyable pureté d’expression du vers de Mlle Renée Vivien, c’est qu’elle paraphrase ou s’inspire simplement de la poétesse de Mitylène, l’essence vraiment grecque, sans apparent effort, de son inspiration, la forme tout antique de sa pensée. Il y a là plus qu’un effet de l’art : Mlle Vivien voit, ressent, pense comme une Grecque ; par un oubli total de l’ambiance moderne, par un dédoublement inouï, par une continuelle tension d’imagination elle est arrivée à modifier son âme, à s’identifier complètement avec la célèbre Lesbienne qu’elle s’est donnée comme modèle. Sa sincérité est entière, on n’en saurait douter, bien qu’il y ait dans son cas une importante part d’excitation cérébrale et beaucoup de littérature. — Si on lit seulement quelques pièces de ses livres, on a tout d’abord l’impression de vers écrits par un élève de rhétorique vicieux, à l’esprit farci de classicisme, — mais, lorsque l’on pousse la lecture plus avant, on se convainc, alors, que toute cette poésie saphique est l’expression exacte de sentiments vrais.

Dois-je confesser mon peu de sympathie pour l’œuvre de Mlle Renée Vivien ? — Ce n’est pas que je méconnaisse la beauté de certains poèmes, mais, ces éternels frôlements de chairs féminines m’énervent. La suavité incolore de ses vers de forme très pure, leur fluidité devient extrême-