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MADAME D’ARBOUVILLE

Outre que ses poésies sans être très originales ne sont pas dénuées de tout mérite, Mme d’Arbouville a encore, pour nous, un double intérêt : elle eut aux environs de 1835 un salon littéraire très suivi.et son influence était telle qu’on lui prêtait le pouvoir de « faire des académiciens », — enfin, et c’est cela surtout qui la recommande à notre curosité, elle fut durant dix années la meilleure amie de Sainte-Beuve, une amie qu’il paraît bien avoir aimée passionnément.

Elle était la fille du général baron de Bazancourt qui avait épousé Elisa d’Houdetot, une petite-fille de la comtesse d’Houdetot, l’amie de JeanJacques, — Née le 29 octobre 1810, Sophie de Bazancourt avait vingtdeux ans lorsqu’on la maria à M. François-Aimé-Frédéric Loyré d’Arbouville, chef de bataillon au 2 « régiment d’infanterie légère.

Ce fut une union lieureuse. La jeune femme aimait beaucoup son mari et le suivait dans ses diverses garnisons, sans avoir un trop vif regret de Paris et du monde brillant où elle avait cependant été élevée. Cela ne veut pas dire qu’elle s’amusait beaucoup en province. Kon, elle ne s’amusait pas du tout, elle s’ennuyait même souvent. Pour se distraire, elle faisait de la musique et écrivait des vers. — « Je crois — dit-elle à une amie — que je fais des progrès et qu’il serait même possible qu’en travaillant Je parvinsse à faire quelque chose de bon. » Elle se juge bien. De fait, Mme d’Arbouville n’est guère qu’une amateur de lettres. Elle n’écrivit d’ailleurs jamais pour le public. A peine si elle soumettait ses essais en prose et en vers à ses parents et à ses amis. Elle écrivait pour elle-même et avec une parfaite modestie. Aussi ses Poésies et nouvelles ne furent imprimées qu’après sa mort.

A côté de pièces médiocres, on trouve quelques poésies assez réussies. Une des plus curieuses, à coup sûr, est certainement celle sur les Paroles d’un croyant qui lui fut inspirée par le célèbre pamphlet de Lamennais. Dans cette pièce, elle s’est faite, en quelque sorte, l’écho de l’indignation des catholiques. Mais, pour avoir une idée exacte de son talent il faut, — pour elle comme pour les autres poétesses, — se reporter aux poésies intimes, aux poésies qui lui furent inspirées par un sentiment de pudeur ou’de^tendresse.’, Un jour que Saint e-Beuv e lui avait adr essé des vers pour lui falre^ un doux reproche :

Amie, il faut aimer’quand le jeu couve’encore…

Elle lui fit la jolie réponse qu’on lira plus’loinjet qui porte pourl^titre Ne m’aimez pas.

Comment Sainte-Beuve avait connu Mme d’Arbouville, ? — C’était au temps où le critique songeait h entrer à l’Académie. Mme d’Arbouville, qui avait laissé son mari en Afriquefoù il exerçait un haut commandement, tenait alors rue d’Anjou, un des salons les plus distingués du