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MARCELINE DESBORDES-VAI.MORE 205

Et comment lorsqu'on parle de Mme Desbordes-Valmore, comme d’ailleurs de presque tous les grands écrivains du XIX ème siècle, — comment ne pas citer le jugement du plus judicieux des critiques, Sainte-Beuve :

« Mme Valmore, — écrit-il à propos de ses premières poésies, — en avançant, aura, par accès peut-être, des cris plus déchirants, des éclairs plus perçants et plus aigus, comme aux approches de l’ombre ; mais ici ce sont de doux éclairs du matin, de jolis rayons d’avril, les lilas aimés, le réséda dans sa senteur ; et déjà s’exhalent pourtant, à travers des gémissements tout mélodieux, ces beaux élans de passion désolée qui la mettent tant au-dessus et à part des autres femmes, de celles même qui ont osé chanter le mystère. C’est l’André Chénier femme, a-t-on dit. Avec moins d’art, incomparablement, elle a la source de sensibilité plus intime, plus profonde ».

 Et, n’est-ce pas Sainte-Beuve, encore, qui appelait le début de cette pièce, l’Attente, « une ouverture glorieuse et triomphale comme un lever de soleil ». 


Il m’aima. C’est alors que sa voix adorée

M’éveilla tout entière, et m’annonça l’amour :

Comme la vigne aimanta en secret attirée

Par l’ormeau caressant, qu’elle embrasse à son tour,

Je l’aimai ! D’un sourire il obtenait mon âme.

Que ses yeux étaient doux ! que j’y lisais d’aveux !

Quand il brûlait mon cœur d’une si tendre flamme,

Comment, sans me parler me disait-il : « je veux ! »

O toi qui m’enchantais, savais-tu ton empire V

L’éprouvais-tu, ce mal, ce bien dont je souffre?

Je le crois : tu parlais comme on parle en aimant.

Quand ta bouche m’apprit je ne sais quel serment.

Qu’importent les serments ? je n’étais plus moi-même.

J’étais toi. J’écoutais, j’imitais ce que j’aime ;

Mes lèvres, loin de toi, retenaient tes accents.

Et ta voix dans ma voix troublait encore mes sens.


 Quelle passion et quelle sincérité dans ce désordre de mots et de pensées. 

Jamais encore une femme n’avait ainsi exprimé les sentiments les plus secrets de son cœur. C’est que la femme ici s’efface devant l’amante. Ou, plutôt, non, elle ne s’efface pas, elle se réalise, elle ose se réaliser tout entière. Car une femme n’est complètement femme que lorsqu’elle aime. Or Mme Desbordes Valmore sans cesser d’être chaste — plus chaste assurément que Mme Dafrenoy, — ne craint pas de confesser publiquement sa passion pour un homme. Et cela, non plus sur le ton précieux et factice du XVIIème siècle, non plus par divertissement littéraire comme au XVIème siècle, mais avec la sincérité d’une femme que l’amour a profondément agitée, qui a connu la douceur du baiser et le déchirement de la trahison ou de l’abandon. Les élégies d’une de Villedien sont loin et les idylles aux champs aussi.