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204 LES MUSES FRANÇAISES


 Voilà ce qu’elle criera à celle qu’elle appelle Délie, lorsque les premiers enivrements de la passion feront place, chez son amant, à des sentiments moins vifs, avant- coureurs du détachement final.

 Aussi bien, on ne saurait trop insister sur la liaison de Latouche et de Marceline car, cette liaison aura été pour elle la source la plus pure, la plus passionnée, comme la plus amère de’ ses chants. C’est pour Henri de Latouche qu’elle a composé ces élégies brûlantes qui feront dire à Baudelaire : «  Si le cri, si le soupir naturel d’une âme d’élite, si l’ambition désespérée du cœur, si les facultés soudaines, irréfléchies, si tout ce qui est gratuit et vient de Dieu, suffisent à faire le grand poète, Marceline Valmore est et sera toujours un grand poète .» — Moins que chez tout autre écrivain, on ne peut séparer chez elle l’œuvre de la vie. Toutes ses souffrances et ses joies — ses souffrances surtout !— elle les a dites en d’admirables vers, — admirables parce qu’ils sont débordants de douleur, d’amour, de passion et de sincérité. Ce n’est pas une artiste qui écrit, c’est un cœur de femme qui s’épanche. L’art, elle n’en a, pour ainsi parler, pas souci : que lui importe la forme, elle dit ce qu’elle a à dire, simplement. Et, comme la passion lui donne du génie, du même coup elle crée la forme qii convient à ces confessions d’amoureuse, à ces cris de joie d’un cœur en fête, à ces lamentations d’une âme désespérée. Elle crée, sans s’en douter, la forme type des élégies féminines, — la forme dont la plupart des poétesses qui viendront après elle aimeront à s’inspirer. C’est que — ainsi que le note encore admirablement Baudelaire elle «  fut femme, fut toujours femme et ne fut absolument que femme ; mais elle fut à un degré extraordinaire, l’expression poétique de toutes les beautés naturelles de la femme ». Avait-on jamais entendu avant elle, des vers comme ceux-ci : 


J’étais à toi peut-être avant de t’avoir vu.

Ma vie, en se formant, fut promise à la tienne ;

Ton nom m’en avertit par un trouble imprévu,

Ton âme s’y cachait pour éveiller la mienne.

Je l’entendis un jour, et je perdis la voix ;

Je l’écoutai longtemps , j’oubliai de répondre :

Mon être avec le tien venait de se confondre ;

Je crus qu’on m’ap})elait poiir la première fois.

Savais-tu ce prodige ? Eh bien, sans te connaître

J’ai deviné par lui mon amant et mon maître,

Et je le reconnus dans tes premiers accents,

Quand tu vins éclairer mes beaux jours languissants.

Ta voix me fit pâlir et mes yeux se baissèrent ;

Dans un regard muet nos âmes s’embrassèrent;

Au fond de ce regard ton nom se révéla,

Et sans le demander j’avais dit : « Le voilà ! »