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VICTOIRE BABOIS 171

Depuis l’instant affreux où tu me fus ravie,
Et qui dut être, hélas ! le dernier de ma vie.
Ma jeunesse s’écoule en regrets impuissants.
Et toujours superflus et toujours renaissants.
Rien ne peut de mon cœur tromper l’inquiétude.
Rien ne peut de t’aimer remplacer l’habitude.
Mes vœux n’ont point d’objet, mon âme est sans désir.
Je n’ai plus devant moi qu’un éternel loisir ;
Et le sommeil suspend l’ennui qui me consume,
Pour me le rendre encore avec plus d’amertume.
Hélas ! les soins touchants, les pleurs de la pitié,
Tout aigrit ma douleur, et je fuis l’amitié.
Elle me cherche en vain, en vain toujours plus tendre.
Elle poursuit un cœur qui ne peut plus l’entendre.
Sa voix, sa douce voix, réclamant son pouvoir.
Vainement dans mon âme ouverte au désespoir,
De la froide raison rappelle la constance ;
Le courage n’est plus où n’est plus l’espérance.


LE SAULE DES REGRETS


Saule, cher à l’Amour et cher à la Sagesse,
Tu vis l’autre printemps sous ton heureux rameau.
Un chantre aimé des dieux moduler sa tristesse,
Et l’onde vint plus fière enfler ton doux ruisseau.
 
Sur le feuillage ému, sur le flot qui murmure.
L’Amour a conservé ses soupirs douloureux.
Moi, je te viens offrir les pleurs de la nature :
Ne dois-tu pas ton ombre à tous les malheureux ?

Dans ce même vallon, doux saule, j´étais mère !
Mon âme s’enivrait d’amour et de bonheur ;
Dans ce même vallon, seule avec ma misère.
Je n’ai que ton abri, mes regrets et mon cœur.

Ma fille a respiré l’air pur de ton rivage ;
Elle a cueilli des fleurs sur ces gazons touffus.
Les charmes innocents, les grâces de son âge
Ont embelli ces lieux : doux saule, elle n’est plus !

J’aimais à contempler sa touchante figure
Dans le cristal mouvant de ce faible ruisseau ;