Page:Séché - Les Muses françaises, I, 1908.djvu/138

Cette page n’a pas encore été corrigée

Aime-t-on des ombres de glace ?
Quel feu tient contre leur froideur :
Faites-moi quelqu’autre menace,
Si vous voulez me faire peur.

Pour appuyer la Prophétie,
Me défendis-je avec effort
De tant d’honnêtes gens en vie
Pour m’entêter d’un vilain mort ?

Quoi me méprendre de la sorte :
Je suis plus sage, je le sens ;
S’il fallait aimer vive ou morte.
Je saurais bien prendre mon temps.

Mais par bonheur sans se méprendre.
On peut fuir l’amour et ses traits,
Et qui vivant sait s’en défendre,
Il en est quitte pour jamais.

Qui se sent prude et précieuse
Pour toujours est en sûreté.
Et fut elle peste et rieuse,
Les rieurs sont de son côté.


    On a beau lui faire l’éloge
    De ceux qui l’aiment tendrement ;
    Cœur français, gascon, allobroge
    Ne la tentent pas seulement.

    — Hélas ! hélas ! un jour viendra
    Que la prude sera coquette :
    Et croit-elle qu’on lui rendra
    Tous les amants qu’elle rejette

    Mille soins la déchireront.
    Elle séchera de tendresse.
    Et ceux qui la suivent sans cesse
    Éternellement la fuiront.

    Ombres sans couleur et sans grâce.
    Ombres noires comme charbon.
    Ombres froides comme lu glace.
    Qu’importe, tout lui sera bon.

    Aussi bien les destins terribles
    La forceront avec le temps
    D’aimer quelques morts insensibles :
    Qu’elle aime quelques bons vivants.