Page:Séances et travaux de l’Académie des sciences morales et politiques, série 2, tome 6.djvu/215

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

existence, que leur privation ne saurait être compensée par aucun autre objet, et que, comme nous n’avons aucun moyen d’atteindre à leur prix, nous n’avons, non plus, aucune raison d’en céder l’usage. C’est ce qui fait que nous en jouissons tous gratuitement. Ainsi, suivant Condillac, l’eau commune, l’air, et la lumière du soleil ne coûtent rien ou presque rien ; ils ont la plus petite valeur possible. Suivant J.-B. Say, au contraire, ces biens ont une utilité immense, infinie, et par conséquent une valeur aussi élevée que possible, une valeur qui dépasse tous nos moyens d’acquisition. Voilà pourquoi ils ne sont jamais l’objet d’une vente ni d’un achat. L’explication est singulièrement bizarre. Il est difficile de comprendre que nous jouissions de certains biens gratuitement, précisément parce qu’ils ont une valeur infinie. Mais encore faudrait-il au moins que ces choses-là ne fussent jamais l’objet d’un échange. Malheureusement pour la théorie de J.-B. Say, l’air respirable, la lumière du soleil et l’eau commune se vendent et s’achètent quelquefois, et leur valeur se proportionne, dans certaines circonstances, à d’autres valeurs qui ne sont rien moins qu’infinies.

Et cependant, il y a dans la doctrine de J.-B. Say quelque chose d’incontestable. On ne peut pas nier, en effet, que l’air et la lumière, le calorique et l’eau commune ne soient pour nous des choses si utiles que rien au monde ne peut les remplacer. Les besoins que tous ces objets sont destinés à satisfaire, les jouissances qu’ils nous procurent sont la condition même de notre vie. Nous ne saurions en être privés longtemps sans périr. Mais il y a un autre fait dont J.-B. Say n’a pas voulu tenir compte, et il a eu tort. L’observation, pour être bonne, doit être complète. Ne peut-on pas dire aussi que l’eau, la lumière et l’air sont des choses dont le service est si généralement répandu qu’on n’a presque jamais besoin de faire le moindre sacrifice pour se les procurer. Leur abondance est telle, grâce à Dieu, que cha-