Page:Ryner - Prostitués, 1904.djvu/344

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

causalité, de l’ordre, du but, est pris maintenant dans la nécessité plus forte et sans soudure d’une continuité cyclique.

Et le dragon « Tu dois », déchiré par le lion, a ressuscité aux vagissements de l’enfant. Nous ne vivons plus pour la joie de l’instant, mais pour nous « surmonter », pour désirer et causer notre propre « déclin », pour nous donner à l’avenir et à la création du surhomme. Nietzsche exige que nous aimions l’univers, que nous aimions, dans l’heure présente, les heures qui l’ont amenée et les heures qu’elle amènera ; il veut que nous l’aimions, cette heure, non pas une fois, mais une infinité de fois, aujourd’hui, et dans le passé sans fond, et dans l’avenir sans fond, dans toute « la profonde éternité ».

Car cette conception, qui pourrait écraser de terreur ou paralyser d’indifférence, peut aussi exalter de joie ivre. C’est dans les manifestations de cette joie qu’éclate surtout la puissante originalité de Nietzsche. Originalité d’ordre poétique bien plus que d’ordre philosophique. Il répète des choses déjà dites, mais l’accent est nouveau. Son chant est toujours belliqueux et orgiaque. D’autres ont accepté l’univers pour sa nécessité, ou lui ont souri pour son harmonie.