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qui rétrécit la doctrine, qui n’aperçoit que la forme joyeuse et conquérante du combat et ignore sa forme douloureusement défensive. Le mécanisme du monde reste pour Nietzsche ce qu’il est pour Darwin. Sa dynamique incomplète, qui ne tient compte que de l’action et non de la résistance, explique moins bien ce mécanisme.

Nietzsche, ayant trouvé dans l’hégélianisme et le darwinisme les bornes de sa puissance destructive, se met à reconstruire. Il dresse un univers qui lui semble tout neuf, un univers qu’il croit l’œuvre de « sa propre volonté » et qu’il affirme « son propre monde ». En réalité, il est aidé par Hegel et Darwin, seuls survivants apparents de l’intense lutte pour la vie que se sont livrée en lui les doctrines. Même ils ne restent point tout à fait seuls ; certains matériaux viennent de plus loin, et aussi l’élégance de certaines courbes. Les noms de Plotin et de Platon auront droit à une inscription sur l’édifice composite.

Nietzsche va donc créer et, lui qui jadis critiquait durement l’idée de sacrifice, il aimera ses créations plus que lui-même. « Est-ce que je recherche le bonheur ? Je recherche mon œuvre. »