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un chef-d’œuvre incomparable. » Les lettres de Dreyfus, lamentations monotones d’un enfant qui souffre sans comprendre et d’un bourgeois qui, lui aussi, se sent diminué par « le déshonneur légal », te paraissent « admirables ». Tu t’écries : « Je ne connais pas de pages plus hautes, plus éloquentes. C’est le sublime dans la douleur, et plus tard elles resteront comme un monument impérissable ». Mais voici que le grand écrivain inattendu entre, « auguste, épuré désormais, dans ce temple de l’avenir où sont les dieux ». Personne encore n’est « monté plus haut dans le respect et dans l’amour des hommes ». Car, pendant tout le procès de Rennes « le destin s’accomplissait, l’innocent passait dieu ». Et le mot dieu est employé dans un sens précis, puisque tu compares, naïf, « la religion de l’innocent » à « la religion du Christ ». Même la religion de l’innocent, innocent toi-même, te paraît singulièrement supérieure, car celle de Jésus fut longue à prendre, mit « quatre siècles à se formuler » . Et tu vois dans l’avenir « toutes les générations à genoux et demandant à la mémoire du supplicié glorieux le pardon du crime de leurs pères ». Tu n’as même pas l’air de te douter que, s’il fallait rester à genoux une se-