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prostitués

Elle me dit, cette pauvre femme :

— Non, ta tête me déplaît, et tu pourrais m’offrir des millions, et je pourrais crever de faim complètement, je te refuserais quand même.

Après un silence, elle reprit :

— Ta tête me déplaît pour ça. Elle me plaît pour causer. Écoute. J’ai perdu l’habitude de travailler et pourtant ça m’embêtait de marcher toujours et avec tous. Alors, j’ai tâché d’avoir très peu de besoins et je me donne pour ma propre joie à ceux qui m’achètent. Beaucoup ne me paient point, parce que je ne réclame pas et parce qu’ils voient que j’ai eu autant de plaisir qu’eux. Il m’arrive quelquefois de ne pas manger : j’aime mieux ça que de m’être dégoûtée moi-même. Mais, les jours où on me donne quelque chose, je mange et je suis bien contente.

Écoutons cette leçon, nous tous, les prostitués sans courage. Philosophe, dis ce que tu penses et tout ce que tu penses. Romancier, dresse des personnages qui vivent de toi et qui t’intéressent. Poète, fais les vers qui te plaisent, non ceux qui risqueraient de plaire au public payant. Professeur, enseigne selon ta conscience, sans te préoccuper des doctrines offi-