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cendie. » Or, c’est lui l’amant néronien qui jouira, un peu snob et en se montant le coup, de cet incendie apparent, spectacle, hélas ! que n’accompagne point le désastre. Il est artiste, à la manière de Néron ; d’étranges bonheurs décevants font fleurir sur les bouches des deux monstres la même écume de lubricité, de folie et d’impuissance. L’amour de la couleur, quand il s’accompagne d’une indifférence aussi complète au dessin et d’une aussi effroyable impuissance logique, me paraît un symptôme sûr de la manie destructive. Le mot populaire sur le meurtrier qui « a vu rouge » contient de la sagesse. Néron incendiant Rome est un coloriste qui, pour exaspérer la couleur ardente, détruit complètement la ligne. Tout comme Néron chante dans sa joie délirante des vers qu’il n’a point faits et déshonore Homère de sa bave impériale, Annunzio clame, bacchant écumant, des images volées à Shelley, des chansons cambriolées dans Mæterlinck, et des « pensées » prises à tous, à ceux qui pensent et à ceux qui ne pensent pas. Cet érotomane est aussi un kleptomane ; il emporte également, comme des butins précieux, l’or, le plomb et la boue.