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Jadis, à première lecture, je préférai le centre du livre, tout de précision et de vie pleine. Aujourd’hui, mieux regardée et mieux comprise, c’est l’œuvre entière que j’aime en sa beauté diverse et savante, en la haute signification de son ensemble.

Étrange et admirable conception où s’expriment à la fois les besoins latins de clarté et les inquiétudes orientales ou hercyniennes d’infini : ici, c’est d’en bas que vient la lumière. Le centre de l’œuvre est un abîme, l’abîme de la matière. Et les lueurs intenses, diales et jolies par endroits, brutalement infernales ailleurs, grimpent étranges, clairs-obscurs et pénombres, songes et cauchemars, au tournant de deux escaliers ténébreux et qui n’ont point de sommet : celui par lequel on dévale à l’actuelle existence, celui qui en remonte.

La première partie nous montre l’enfant descendant de là-haut, puis dégringolant les bas degrés, tombant homme. Je ne dirai pas quels angles durs des marches accrochent la lumière et brutalisent la chute. Or l’enfant qui tombe est un sensible, un poète, un de ceux que le choc de la vie risque de tuer ou d’affolir. Et, en effet, c’est tout meurtri, fou et mourant qu’il arrive.