Page:Ryner - Prostitués, 1904.djvu/21

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
9
prostitués

meilleure part. » Et : « Il faut que tout le monde vive. » Et encore : « Tout travail mérite salaire. »

Bien que penser, chanter, sculpter, donner son âme et son esprit aux jeunes gens ne soient que des repos et des joies, le Maître avait raison d’employer le mot travail. Car ces naïfs, sous prétexte d’affranchir l’ange, avaient coupé ses ailes, et on allait le surmener, attelé à d’étranges besognes. Les misérables avaient vendu ce qui doit être donné en un élan d’amour. Le cerveau est un second cœur. Ses frémissements doivent rester libres, ne point servir à payer la vie de la bête. Pour ne plus travailler comme les autres esclaves, ces « penseurs » pensèrent en esclaves, sur l’ordre du maître, à l’heure du maître, ce que voulut le maître. Et la pensée, qui se nourrit de liberté, mourut comme l’amour : on décora de son nom la flatterie et le sophisme comme le nom de l’autre dieu était porté par les baisers menteurs et par les comédies de caresses.

Les Maîtres, devenus plus nombreux, plus habiles et plus avares, « affranchirent » ces esclaves un peu après les autres, ne les nourrirent plus, payèrent médiocrement chaque « service », les firent travailler aux pièces.