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m’écarte, après quelques brocards, des troupes timides ou grossièrement conquérantes. Au contraire j’accorde, selon sa puissance, sympathie ou admiration à quiconque sort des voies battues et cueille des fleurs que nul passant ne piétina.

Les esthétiques de ceux que j’aime sont très différentes. Qu’ont-ils donc de commun qui me les fasse aimer les uns et les autres ? Consciemment ou non, ils professent une même morale artistique.

Les critiques ont dit tant de sottises sur les rapports de l’art avec la morale qu’une précision est ici nécessaire. À l’idéaliste que j’aime je ne reprocherai jamais de m’entourer d’illusions et de me préparer de proches déceptions. Tel autre, pour un effet d’art ou dans un élan sincère, poussera le réalisme jusqu’à la brutalité, et il ne me choquera point.

Celui-là seul me choquera qui cherchera à me plaire ou à plaire à d’autres.

Tous ceux que j’aime savent que le génie artistique n’a aucun rapport avec le banal métier oratoire ; que le flatteur « vit aux dépens de celui qui l’écoute » mais ne dit aucune parole intéressante pour des oreilles sages ; que le ta-