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de mégots antiques sans me rappeler une anecdote lue, je crois, dans Quinte-Curce :

On vanta à Alexandre un homme très habile : à une distance considérable, cet homme faisait passer par un trou minuscule une lentille. Il ne ratait jamais son coup. Le roi consentit à le voir travailler. Quand, au milieu des admirations, l’adroit spécialiste s’arrêta avec aux lèvres un sourire aimable et triomphant, Alexandre dit tout haut à quelqu’un de sa suite : « Il convient de récompenser cet homme selon ses mérites : vous lui donnerez un boisseau de lentilles. »

Qui refusera à l’auteur des Trophées le boisseau de lentilles ?

Même les indulgents — oubliant les basses flatteries, les intrigues serviles, les lâchetés rampantes que représentent tant de succès : grade dans la Légion d’honneur, Académie, sinécure de l’État, sinécure chez Letellier, pensions de toutes sortes — diront aimablement :

— Le lanceur de lentilles est peut-être un naïf honorable. Il a admiré Leconte de Lisle, puissant discobole, et il a voulu l’imiter. Seulement il a bien été forcé de choisir des disques à sa taille.