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grande richesse condamnée par les Saints quand ils ont parlé κατὰ τοὺς πλεονέκτας.

Mais qu’est-ce à dire : « trop grande richesse » ? Voilà bien une formule scientifique ! s’exclamera un économiste. Comment ce qui est juste jusqu’à un certain chiffre devient-il injuste au-dessus de ce chiffre — et quel chiffre fixerez-vous ? Par quel miracle ce qui est légitime entre les mains d’un ouvrier qui a économisé quelques années de salaire devient-il illégitime entre celles de son petit-fils dont la fortune, grossie par des intérêts successifs, atteint plusieurs millions ? Ce qui est le droit pour une opération financière reste le droit pour cette opération, quel que soit le nombre de zéros que vous lui ajoutiez. — Eh ! oui, mathématiquement c’est vrai, mais humainement et socialement parlant, cela peut l’être infiniment moins. Il y a dans les équations humaines, à l’encontre des équations algébriques, certains éléments moraux qui faussent tous les calculs, certaines vérités qui, poussées à un certain point, deviennent des erreurs et certaines justices qui, poussées jusqu’à un certain degré, deviennent des injustices : summum jus, summa injuria. En théorie, le gros capital légitimement acquis demeure d’un emploi légitime. En fait, il ruine par son seul jeu et écrase par son seul poids les petites industries rivales en train de se fonder