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permet à nos mains de demeurer oisives et à notre corps de se dérober à tout travail musculaire. C’est le grand progrès moderne. Soit. Mais au bout de quelques années, le corps, lassé par l’action cérébrale, dépérit, et les médecins reviennent, au nom de l’hygiène, nous prescrire le labeur dont les ingénieurs, au nom du progrès, nous avaient triomphalement dispensé. Cet étiolement est-il une richesse ? Ensuite, que faire de la santé, si l’on n’a plus de forêts où poursuivre les ailes, ni de prés où admirer les fleurs ? L’argent détruit toute beauté naturelle — ou ne la conserve que dans quelques rares parcs privilégiés. Et que faire de cette Beauté, si l’on n’a point entretenu en soi l’enthousiasme qui en goûte toute la grâce et en ressent toutes les énergies ? Or l’homme riche possède-t-il cet enthousiasme ? Non. La grande erreur de notre temps est de croire que l’homme préoccupé d’accumuler de l’argent, qui va, entre deux spéculations, entendre somptueusement un opéra, entend quelque chose… Il n’entend rien. C’est de penser que le collectionneur perçoit la beauté des œuvres des maîtres quand il n’a eu qu’à étendre la main pour les saisir… Il ne les voit point. Le premier n’entend que le bruit de l’or trébuchant sur les marchés internationaux — ou celui des plaintes des familles qu’un heureux coup de Bourse a