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Physiquement, dans un buisson, on ne voit pas tout ; on ne peut pas tout voir.... Or « le vrai artiste est celui qui, non seulement affirme bravement ce qu’il voit, mais confesse honnêtement ce qu’il ne voit pas. Vous ne pouvez dessiner tous les poils dans un sourcil, non parce qu’il est sublime de les généraliser, mais parce qu’il est impossible de les voir. Combien de cheveux il y a là, un peintre d’enseignes ou un anatomiste peut le compter, mais combien peu vous en pouvez voir, c’est seulement les maîtres suprêmes : Carpaccio, Tintoret, Reynolds ou Velazquez, qui le comptent ou le savent. » Est-ce que le chiromancien regarde tous les croisillons de la main ouverte que vous lui tendez ? Non, il y a en elle quelques lignes qui, seules, marquent toute sa destinée, des lignes fatales.

C’est en saisissant ces lignes maîtresses, lorsque nous ne pouvons les saisir toutes, que la ressemblance et l’expression sont données au portrait, et la grâce et une sorte de vérité vitale au rendu de toute forme naturelle. Je rappelle vérité vitale, parce que ces lignes maîtresses sont toujours expressives de l’histoire passée et de l’action présente de la chose. Elles montrent, dans une montagne, d’abord la façon dont elle a été bâtie ou agglomérée, et secondement comment elle s’effrite et de quel côté du ciel la frappent les plus violentes tempêtes. Chez un arbre, ces lignes montrent quelle sorte de destin il a eu à endurer depuis son enfance, com-