Page:Ruskin et la religion de la beauté.djvu/256

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

clartés et des ombres. Elle ne fait point de Salvator Rosa, de Rembrandt ni de Ribera. Elle s’interdit les grands partis pris d’ombres et de lumières, se défend les rayons de soupiraux, les jeux de lanterne sourde, les coups de pistolet dans les caves, abhorre les contrastes ou ne les tolère que très dissimulés, « agissant comme une surprise et non comme un choc... ». Il faut pareillement que, dans l’œuvre d’art, notre intérêt soit éveillé par la justesse des teintes, et non par leurs oppositions, par la force des membres et non par leurs efforts, par leurs formes et non par leurs déformations. Il faut que la scène qui se joue entre les cadres nous séduise non pour l’étrangeté des situations, mais pour le naturel des caractères. Qu’importe qu’il n’arrive rien à ces figures, si le galbe en est si pur et la vie si intense, qu’on se passionne pour ce galbe et pour cette vie mêmes ? Qu’importe que leurs pieds ne les portent nulle part, s’ils sont beaux à voir immobiles, que leurs mains ne travaillent point, si elles tiennent dans leurs doigts oisifs des destinées prisonnières ? C’est là le signe du plus grand Art. Faites les figures de votre tableau si belles, qu’on soit incliné à les aimer, et alors toute action, tout geste, tout incident, tout mouvement deviennent inutiles. « Être avec les gens qu’on aime, a dit La Bruyère, cela suffit ;