Page:Ruskin et la religion de la beauté.djvu/156

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

perse et il ramasse, il choque et il séduit. On ne s’endort pas avec lui, comme avec les poètes, au bercement rythmé d’un chant toujours tendre et noble ; il vous réveille, en plein lyrisme, par un violent paradoxe, débité sur un ton familier, quoique encore légèrement oratoire, et qu’il qualifie lui-même de trop « antithétique » :

Le seul élément absolument et incomparablement héroïque dans la carrière du soldat me semble être qu’il est peu payé pour la remplir , — et qu’il l’est régulièrement, tandis que vous, commerçants et changeurs, vous aimez à être payés très cher pour faire vos affaires — et à l’aventure. Je ne puis jamais comprendre comment il se fait qu’un chevalier errant n’attend pas de paiement pour ses peines et qu’un colporteur errant en attend toujours, que les gens sont prêts à recevoir des coups pour rien, mais jamais à vendre des rubans bon marché, qu’ils sont disposés à aller en des croisades ferventes pour recouvrer la tombe d’un Dieu enterré, mais jamais en des voyages quelconques pour exécuter les ordres d’un Dieu vivant, — qu’ils iront n’importe où, pieds nus, pour prêcher leur foi, mais doivent être fort bien rémunérés pour la pratiquer, et sont parfaitement prêts à donner l’Évangile gratis, mais jamais les pains et les poissons.

Assez ! criez-vous.... Mais l’auteur s’est lassé plus vite que vous encore. Son ironie ne se complaît pas en elle-même, en des jeux froids et inféconds. Elle ne naît pas de l’indifférence ou du mépris pour les hommes, mais de l’indignation contre le mal ou