Page:Ruskin et la religion de la beauté.djvu/150

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vement, les petites recluses, les touche avec l’onctueux pinceau de Corot et, les touchant, leur infuse cette vie que tout ce qui aime prête à tout ce qui est aimé :

Nous avons trouvé de la beauté dans l’arbre qui porte un fruit et dans l’herbe qui porte une graine. Que dire de l’herbe sans graine, de ce lichen de rocher, sans fruit, sans fleur ? Que dire du lichen et des mousses ? Quoique celles-ci soient, dans leur luxuriance, touffues et riches comme de l’herbe, elles restent cependant, pour la plus grande part, les plus humbles des choses vertes qui vivent. Humbles créatures ! premiers dons miséricordieux de la terre, voilant de leur silencieuse mollesse la nudité de ses rocs monotones ! Créatures pleines de pitié jetant sur la disgrâce des ruines un étrange et tendre ennoblissement, — posant leurs doigts tranquilles sur les vieilles pierres branlantes pour leur enseigner le repos ! Je ne sais pas de mots qui puissent dire ce que sont ces mousses. Je n’en sais pas d’assez délicats, d’assez parfaits, d’assez riches. Comment dire les rondeurs vertes, touffues, éclatantes, les étoiles aux floraisons de rubis, à la broderie si fine qu’on dirait que les Esprits des Rochers peuvent filer le porphyre comme nous faisons le verre ; les réseaux d’argent, entremêlés et les dentelles d’ambre, lustrées, arborescentes, qui brunissent à travers chaque fibre, en une broderie de soie changeante, splendide et capricieuse — et cependant demeurant calmes et recueillies, et façonnées uniquement pour les plus douces et les plus simples œuvres de miséricorde. On ne les cueillera pas, elles, comme les fleurs pour des guirlandes et des gages d’amour, mais l’oiseau sauvage en fera son nid et l’enfant fatigué son oreiller.