Page:Ruskin et la religion de la beauté.djvu/124

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nécessairement aboutir à une confuse inanité », et cela parce que « chaque espèce de spectacle a son sens particulier, et que toute introduction d’un sentiment nouveau et différent affaiblit la force de l’impression première et que le mélange de toutes les émotions doit produire de l’apathie, comme le mélange de toutes les couleurs produit du blanc », — ce qui serait de la question une vue intéressante, mais abstraite. Il expérimente sa thèse esthétique sur un exemple sensible, un paysage qu’il a vu, et alors passe dans son argumentation une vision magnifique et rapide que reconnaîtront bien tous ceux qui ont cheminé un peu tard sur la voie Appia :

Il n’est peut-être rien sur la terre de plus impressionnant que la campagne de Rome, au soleil couchant. Imaginez, pour un moment, que vous êtes jeté, seul, hors de tous les bruits et de tous les mouvements du monde vivant, dans cette plaine inculte et dévastée. La terre cède et s’émiette sous votre pied, si légèrement que vous marchiez, car sa substance est blanche, creuse et cariée comme des débris d’ossements humains. L’herbe longue et noueuse ondule et tressaute faiblement au vent du soir et ses ombres mouvantes tremblent fébrilement le long des tertres des ruines qui se dressent dans la lumière du soleil. Des monticules d’une terre pulvérulente se soulèvent autour de vous, comme si les morts qui sont au-dessous, s’agitaient dans leur sommeil. Des blocs épars, d’une pierre noire, débris anguleux de puissants édifices dont pas une