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11. Eh bien, des livres de cette espèce ont été écrits à toutes les époques, par leurs plus grands hommes[1] — par de grands lettrés, de grands hommes d’État et de grands penseurs. Tous sont à votre disposition et la Vie est courte. Vous avez déjà entendu dire cela auparavant : cependant avez-vous pris les mesures et tracé la carte de cette courte vie et de ses possibilités ? Savez-vous, si vous lisez ceci, que vous ne pouvez pas lire cela, que ce que vous laissez échapper aujourd’hui, vous ne pourrez le retrouver demain[2] ? Voulez-vous aller bavar-

    l’art. Sans doute le don artistique et la bonté du caractère sont deux choses distinctes ; un homme bon n’est pas nécessairement un peintre, et une vision de coloriste n’implique pas de valeur morale. Mais le grand art implique l’union de ces deux pouvoirs : il n’est que l’expression, par un tempérament doué, d’une âme pure. S’il n’y a pas de don, il n’y a pas d’art du tout, et s’il n’y a pas d’âme — bien plus, pas d’âme droite — l’art est inférieur, fût-il habile. » Le contraire de cette assertion (un contraire qui finirait peut-être par se rencontrer avec elle, si on prolongeait les deux pensées non pas jusqu’à l’infini, mais jusqu’à une certaine hauteur) a été exprimé avec beaucoup de grâce par Whistler dans son Ten o’clock. — Se rappeler aussi le passage des Stones of Venice sur une archivolte de Saint-Marc dessinée par un artiste inconnu : « J’ai foi que l’homme qui a dessiné cette archivolte et s’en est enchanté a vécu heureux, sage et saint. »

  1. Cette façon singulière d’user du pronom est très fréquente chez Ruskin. Ex. : Bible d’Amiens (IV, 23) : « Ceux-ci sont les deux seuls tombeaux de bronze de ses grands hommes qui subsistent en France. » De même dans le sous-titre de la Bible d’Amiens : « Esquisses de l’histoire de la Chrétienté pour les garçons et les filles qui ont été tenus sur ses fonts baptismaux. » Dans la Couronne d’Olivier Sauvage : « Ces chasses qui réalisent dans la personne de ses pauvres ce que leur maître, » etc., etc. (Note du traducteur.)
  2. C’est en obéissant à une pensée de ce genre que le père de Stuart Mill lui fit commencer le grec à trois ans, et lire avant l’age de huit ans tout Hérodote, la Cyropédie et les Mémorables, les Vies de Diogène Laerce, une partie de Lucien, lsocrate et six dialogues de Platon, dont le Théétète. « Il me mit ainsi, dit Stuart Mill, en avance d’un quart de siècle sur mes contemporains. » À cette manière de concevoir la vie on peut opposer le bel Essai de Taine, où il montre que ce sont les heures de flânerie qui sont les plus fécondes pour l’esprit. Et en allant jusqu’à l’autre excès on peut trouver charmant et même