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l’occasion, ne pas être du tout, dans le vrai sens du mot, un livre, ni, encore, dans le vrai sens du mot, à lire. Un livre est essentiellement une chose non parlée, mais écrite[1], et écrite dans un but non de simple communication, mais de permanence. — Le livre-causerie est imprimé seulement parce que l’auteur ne peut pas parler à un millier de personnes à la fois ; s’il le pouvait il le ferait ; le volume n’est que la multiplication de sa voix. Vous ne pouvez vous entretenir avec votre ami dans l’Inde. Si vous le pouviez, vous le feriez ; au lieu de cela, vous écrivez, c’est simplement la transmission de la voix. Mais un livre est écrit non pour multiplier simplement la voix, non pour la transporter, simplement, mais pour la perpétuer[2]. L’auteur a quelque chose à dire dont il perçoit la vérité ou la beauté secourable. Autant

  1. Naturellement cette distinction subsiste dans la théorie que nous esquissions tout à l’heure. Un homme ne peut nous inspirer que si nous l’entendons dans la solitude, c’est-à-dire si nous le lisons, mais encore faut-il qu’il ait été lui-même inspiré : La solitude nous permet seulement de nous mettre dans l’état où lui-même se trouvait, état qui ne pouvait se produire si le livre était un livre parlé ; on ne peut pas plus lire qu’écrire en parlant. En relisant cette phrase de Ruskin : « un livre est une chose non parlée, mais écrite, » je sens que je l’ai moins contredit que je ne croyais le faire. Mais il reste en tous cas que si le livre est une chose non parlée mais écrite, c’est aussi une chose lue et non écoutée dans une conversation, et qui ne peut en conséquence être assimilée à un ami. Si Ruskin ne l’a pas dit, c’est que c’est un des aspects originaux de son génie d’unir à l’insistance qui approfondit d’un Carlyle, la simplicité sereine et enveloppée (et non inquiète et développée), le sourire, le côté « esthétique » des Grecs. Il n’a pas essayé d’analyser l’état d’âme original du « lecteur ». (Note du traducteur.)
  2. Perpétuer est là pour la symetrie. Mais, en réalité, ce n’est plus la même voix qui s’agit de perpétuer. Si c’était simplement le même genre de voix, — rien que des paroles « parlées », — les perpétuer serait aussi frivole que les transmettre ou les multiplier. (Note du traducteur.)