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d’un auteur l’oppresse et son aimable nullité l’abaisse. Mais si elle peut avoir accès dans une bonne bibliothèque de livres anciens et classiques, il n’y a plus besoin de choix du tout. Mettez la revue et le roman du jour hors du chemin de votre fille ; lâchez-la en liberté dans la vieille bibliothèque les jours de pluie, et laissez-l’y seule. Elle saura trouver ce qui est bon pour elle ; vous ne le pourriez pas : car c’est précisément la différence entre la formation d’un caractère de fille et de garçon. — Vous pouvez tailler un garçon et lui donner la forme que vous voulez[1], comme vous feriez d’une rose, ou le forger avec le marteau, s’il est d’une meilleure sorte, comme vous feriez pour une pièce de bronze. Mais vous ne pouvez jamais donner par le marteau à une jeune fille quelque forme que ce soit. Elle croît comme fait une fleur — sans soleil, elle se fanera ; elle déclinera sur sa tige, comme un narcisse, si vous ne lui donnez pas assez d’air ; elle peut tomber et souiller sa tête dans la poussière si vous la laissez sans appui à certains moments de sa vie ; mais vous ne l’enchaînerez jamais ; il faut qu’elle prenne sa gracieuse forme à elle, son che-

    vait renfermer George Sand, on n’en avait cure, la mère sachant que sa fille n’y songerait même pas. L’absence de pudibonderie n’était que la sainte confiance d’un cœur inaccessible aux curiosités malsaines, qui ne se disait même pas qu’il y était inaccessible, car il ne pouvait les concevoir. Par de telles mères, des femmes furent élevées dont la puissance intellectuelle et la grandeur morale ne furent jamais dépassées. On ne peut s’empêcher de le dire en retrouvant, en reconnaissant ici ces mots bénis qui avaient dirigé leur jeunesse, écarté d’elles la frivolité, entretenu en elles, avec une simplicité délicieuse, le feu sacré. (Note du traducteur.).

  1. M. de Montesquieu disait d’un jeune artiste qui, depuis, l’avait payé d’ingratitude : « Moi qui l’ai taillé comme un if ! »