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le Marchand de Venise se soumet languissamment à la fortune adverse ; Kent, dans le roi Lear, est entièrement noble de cœur, mais trop rude et trop primitif pour être d’une utilité véritable au moment critique et il tombe au rang d’un simple domestique. Orlando, non moins noble, est toutefois dans son désespoir le jouet du hasard, et il est conduit, réconforte, sauvé par Bosalinde. Tandis qu’il n’y a guère de pièce dans laquelle nous ne voyions une femme parfaite, inébranlable dans un grave espoir et un infaillible dessein ; Cordelia, Desclémone, Isabelle, Hermione, Imogène, la reine Catherine, Perdita, Sylvia, Viola, Hosalinde, Hélène et la dernière et peut-être la plus aimable, Virgilie, sont sans défauts ; conçues sur le plus haut modèle héroïque d’humanité.

57. Puis en second lieu observez ceci. Les catastrophes[1], dans chaque pièce, ont toujours pour cause la folie d’un homme ; elles ne sont rachetées, si elles le sont, que par la sagesse et la vertu d’une femme, et si celle-ci fait défaut, elles ne sont pas rachetées. La catastrophe où sombre le Roi Lear est due à son propre manque de jugement, à son impatiente vanité, à sa méprise sur les caractères de ses enfants.La vertu de sa seule vraie fille l’aurait sauvé des outrages des autres, s’il ne l’avait lui-même chassée loin de lui. Et, cela étant, elle le sauve presque.

D’Othello[2] je n’ai pas besoin de vous retra-

  1. Comparez « les acteurs s’élancent, tenant en main déjà leur catastrophe ». (Comtesse Mathieu de Noailles, article sur la Lueur sur la cime.) (Note du traducteur.)
  2. « Sa naïveté et sa crédulité de demi-barbare. » (Maeterlinck.)