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grands, les plus sages, les plus purs de cœur des hommes de toutes les époques sont tombés d’accord dans une certaine mesure sur le point qui nous intéresse. Écoutons le témoignage qu’ils ont laissé sur ce qu’ils ont tenu pour la vraie dignité de la femme, et pour le genre de secours dont elle doit être à l’homme.

56. Et d’abord prenons Shakespeare.

Notons d’abord, pour commencer, que, d’une manière générale, Shakespeare n’a pas de héros ; il n’a que des héroïnes. Je ne vois pas, dans toutes ses pièces, un seul caractère complètement héroïque, excepté l’esquisse assez sommaire de Henri V, exagérée pour les besoins de la scène ; et celle plus sommaire encore de Valentine dans les Deux Gentilshommes de Vérone. Dans les pièces travaillées et parfaites vous n’avez pas de héros. Othello aurait pu en être un, si sa simplicité n’avait été si grande que de se laisser devenir la proie des plus basses machinations qui se trament autour de lui ; mais il est le seul caractère qui du moins approche de l’héroïsme. Coriolan, César, Antoine se tiennent debout dans leur force fêlée et tombent entraînés par leurs vanités ; — Hamlet est indolent et s’endort dans la spéculation[1] ; Roméo est un enfant sans patience ;

  1. Comparez Maeterlinck : « Ne parlons pas du père de Cordelia, dont l’inconscience par trop manifeste ne sera contestée par personne ; mais Hamlet, le penseur, est-il sage ? Voit-il les crimes d’Elseneur d’assez haut ? (Il les aperçoit des sommets de l’intelligence, mais non des sommets de la bonté.) Que serait-il advenu s’il avait contemplé les forfaits d’Elseneur des hauteurs d’où Marc-Aurèle et Fénelon les eussent contemplés ? Vous imaginez-vous une âme puissante et souveraine au lieu de celle de Hamlet, et que la tragédie suive son cours jusqu’à la fin ? Hamlet pense beaucoup mais n’est guère sage. » (La Sagesse et la Destinée.) (Note du traducteur.)