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chose que les joujoux des nations ; ou bien alors elles ne sont pas des royautés du tout, mais des tyrannies ou rien que la résultante concrète et effective de la folie nationale ; pour laquelle raison j’ai dit d’elles ailleurs[1] : « Les gouvernements visibles sont le jouet de certaines nations, la maladie d’autres, le harnais de certaines, et le fardeau du plus grand nombre. »

43. Mais je n’ai pas de mots pour l’étonnement que j’éprouve quand j’entends encore parler de Royauté, même par des hommes réfléchis, comme si les nations gouvernées étaient une propriété individuelle et pouvaient se vendre et s’acheter, ou être acquises autrement, comme des moutons de la chair desquels le roi doit se nourrir, et dont il doit recueillir la toison ; comme si l’épithète indignée d’Achille pour les mauvais rois : « Mangeurs de peuple[2] » — était le titre éternel et approprié de tous les monarques, et si l’extension du territoire d’un roi signifiait la même chose que l’agrandissement des terres d’un particulier. Les rois qui pensent ainsi, aussi puissants qu’ils soient, ne peuvent pas plus être les vrais rois de la nation que les taons ne sont les rois d’un cheval ; ils le sucent, et peuvent le rendre furieux, mais ne le conduisent pas. Eux et leurs cours, et leurs armées, sont seulement, si on pouvait voir clair, une grande

  1. Munera Pulveris V Government, § 122. (Note du traducteur.)
  2. Sur cette épithète δημοϐόροι voir Lectures on Art, IV, 116, et comparez avec l’expression des Psaumes, xiv, 4 : « ils mangent mon peuple comme du pain », que Ruskin cite dans The two Paths, § 179. (Note du traducteur.)